Abdullah Awad marche à travers les terrasses millénaires qui épousent la colline sur laquelle se trouvent ses 500 oliviers, à Jamma’in. Le Palestinien a le pas leste malgré son âge, 73 ans, celui aussi de l’État d’Israël. Il soupire : « Cela ne leur suffit pas de prendre la récolte. Ils tapent sur les oliviers avec des bâtons, ils cassent les branches. Ils ne prennent pas soin des arbres… »
« Ils », ce sont les colons de Tapuach, l’implantation juive (1 400 habitants) toute proche qu’Abdullah Awad montre du doigt. « Depuis quelques années, il y avait moins de problèmes. Mais il y a trois semaines, les fruits d’une centaine d’arbres ont été volés. Ils ont dû venir à soixante pour faire ça très vite ! » Dans cette partie de la Cisjordanie occupée depuis 1967, entre Ramallah et Naplouse, on trouve les oliveraies les plus riches et… les colonies israéliennes les plus radicales. La récolte annuelle, de septembre et novembre, est le terreau de confrontations violentes, emblématiques du conflit israélo-palestinien.
Près de la moitié des terres arables de Cisjordanie et de Gaza sont plantées d’environ 10 millions d’oliviers. Entre 80 000 et 100 000 foyers (20 % de la population palestinienne) vivent au moins en partie de la récolte. Traditionnellement, elle est une affaire de famille, au sens large. Les cousins de la ville viennent prêter main-forte. Mais aujourd’hui, on voit surtout des enfants et des personnes âgées. « C’est devenu trop risqué pour les jeunes adultes, il y a eu trop de confrontations et d’intimidations de la part des colons », explique Eyal Hareuveni, de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem.
Zones stratégiques
Certaines oliveraies se trouvent aussi dans des zones désignées comme stratégiques par l’armée israélienne. Il faut des permis spéciaux pour y accéder, dont le nombre s’amenuise d’année en année, suivant des règles parfois absurdes : « On refusera, par exemple, de donner un permis aux enfants d’un homme de 80 ans, alors qu’on sait qu’il ne peut plus travailler la récolte. La récolte se fait alors à la sauvette, en petits groupes, isolés et vulnérables », rapporte Eyal Hareuveni qui dénonce une stratégie globale d’exode rural forcé des Palestiniens, destiné à favoriser l’expansion des colonies.
Pour tenter d’enrayer le phénomène, des militants des comités palestiniens de résistance populaire, issus de la première intifada (1988), ont créé en 2020 Faz3a (« renforcement », en arabe). Parfois accompagnés de défenseurs israéliens des droits humains, ils forment des équipes mobiles de cinq ou six voitures et répondent aux appels de fermiers en difficulté.
Les incidents sont quotidiens. « La semaine dernière, on est intervenu auprès d’une femme dont les colons avaient volé le portable pour mieux dérober ses olives », raconte Sami Hureini, 23 ans. « On les a retenus et on a appelé la police. Quatre colons ont finalement été interpellés. C’est une petite victoire ». Qui est rare, voire risquée ; les colons sont fréquemment armés.
« C’est une violence quotidienne, systémique, qui a le soutien tacite de l’État d’Israël », argumente Eyal Hareuveni. Malgré la volonté de « réduire le conflit » affichée par le nouveau gouvernement de Naftali Bennett, successeur de Benjamin Netanyahou, « il ne se passera rien. La voix des colons est trop forte. »